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Le sacre de Bulgari

« Les pierres et les bijoux peuvent être attributs du triomphe, de la couronne, mais aussi le reflet du martyre et de la modestie: ne pas renoncer à cette ambivalence de l'ornement, voire de l'âme humaine, est un secret que peu connaissent. »

GONZALES-PALACIOS A.,
Le nom des Bulgari, Entre Histoire et Eternité Bulgari
de 1884 à 2009 125 ans de joaillerie Italienne.


Après une première somptueuse à Rome, l'orfèvrerie Italienne investi l'écrin vitré du Grand Palais. La célébration des 125 ans de créations joaillières « da Bulgari »* sera accessible au public du 10 décembre au 12 janvier 2011. Une rétrospective de ses six cents plus beaux bijoux, montres, et ameublements décoratifs pour le plus grand bonheur des parisiens.


Depuis l'ouverture de sa première boutique en 1884 sur la via Sistina, le plus grand bijoutier de la ville aux sept collines a enchaîné les succès: séduisant les têtes couronnées de la fin du dix-neuvième siècle puis les stars Hollywoodiennes du XXe siècle. L'exposition ne manque pas de retracer les débuts de la maison de luxe qui a fait ses premiers pas dans l'argenterie. Naguère spécialisé dans la joaillerie traditionnelle grecque, Bulgari a su s'adapter à une clientèle particulière: l'aristocratie internationale et la jet set.

Car Bulgari, c'est une épopée, qui selon la tradition artistique trouve son origine en Grèce, berceau des arts et de la culture. Sotirio Bulgari l'a quitté en 1877 pour s'installer quelques années plus tard à Rome. Le raffinement de ce joailler originaire de Paramithia nouvellement débarqué dans la Rome du dix-neuvième siècle allait permettre un renouvellement du luxe Italien, et sans le savoir l'immigrant grec allait répéter l'Histoire. Car avant l'arrivée de Sotirio sur la botte Italienne, les bijoutiers locaux restaient influencés par les créations des grandes boutiques parisiennes. La créativité et le style caractéristique de Bulgari dotera le pays d'une véritable identité au luxe à l'Italienne.
Or, déjà, à la fin du 1er siècle avant Jésus Christ, la vieille république romaine croupissait sous les guerres et les lois somptuaires (lois visant à limiter le superflu dans la vie courante et les festivités). L'avènement de l'empire allait porter la domination romaine jusqu'aux hellènes. Ces derniers firent la gloire artistique et culturelle des romains. Des obélisques de Byblos à l'or de Babylonne, ce fut le butin d'Alexandre le Grand qui prit le chemin de Rome. Désormais, la jeune aristocratie romaine se formait auprès des artistes et philosophes Grec; et les artisans bijoutiers du panthéon se virent offrir des places de choix chez les bourgeois, enrichis par les succès militaires. De nouveaux colliers, fibules et bagues allaient petit à petit orner l'étalage des marchands du Forum et faire le bonheur des belles dames de Rome.

Est ce en hommage aux origines de ces deux peuples que Bulgari dédie une collection aux anciennes pièces de monnaie Romaine et Grec? Il s'agit en fait d'une tradition renouvelée, issue de l'antiquité une fois de plus. D'authentiques vénérables pièces de monnaies, en or, argent et bronze, sont autant de suggestions à la créativité de Bulgari. D'ailleurs, les « gemme nummarie », gemmes monnaies, est un terme de joaillerie inventé par Bulgari. Ainsi des personnages illustres tels Maxence, Néron, ou Gordien viennent orner les sautoirs, bracelets et boucles d'oreilles. Comme par exemple ces boucles d'oreilles à l'effigie d'Alexandre le Grand, serties dans un chaton en or rehaussées de diamants, et d'un rubis ovale dans sa partie inférieur; ou encore ce collier ras de cou, arborant un distatère de la monnaie de Thurium, frappé au quatrième siècle avant Jésus Christ, une pièce rarissime car il en a été retrouvé que trois exemplaires.

Une autre mode remis au goût du jour par Bulgari fut les tubogas. La technique de ces bandes flexibles aux contours nets et arrondis sans soudure, sont une découverte joaillière de la seconde moitié du XIXe siècle. Des heures de travail sont nécessaires à la réalisation d'un tubogas, Bulgari en fera sa spécialité à partir des années soixante-dix. Le résultat est superbe, donnant lieu à des colliers dignes d'être porté par des princesses et qui feront certainement le bonheur des amoureux du néoclassicisme. En atteste ce collier imposant, de sept centimètres de hauteur et vingt-sept de longueur, formé de six bandes de tubogas enchâssés dans sa symétrie verticale de trois statères en argent de l'antique ville de Corinthe. Les deux statères inférieurs et supérieurs sont tournés au revers, offrant la tête d'Athéna coiffée d'un casque Corinthien escortant Pégase prenant son envol, représenté à l'envers de la pièce.

La beauté des créations de Bulgari en deviendrait presque ostentatoire avec la série des serpents bracelets. Le serpent symbole immuable de la connaissance est souvent l'attribut d'Athéna, déesse de toute science véritable. Très en vogue dans la Rome du premier siècle après Jésus Christ, on trouve les premiers exemplaires chez Bulgari à la fin des années quarante. Mais à d'autre temps, d'autres usages. En effet, Bulgari réinvente le bracelet serpent antique en lui incrustant dans sa tête un mécanisme d'horlogerie. La gueule du serpent s'ouvre pour permettre à son propriétaire de lire l'heure. Parfois plus conceptuelle le bracelet-montre peut cependant prendre de surprenante apparence. Comme cette création de 1975, fin de moins de deux centimètre, long de trente quatre, la tête du serpent en diamants semble vous fixer de ses yeux rouges rubis; les écailles d'or et d'émeraude, ajoutant à sa langueur.

On ne peut pas parler du style Bulgari sans évoquer les créations colorées audacieuses de l'orfèvre. En assortissant pour la première fois dans l'histoire de la joaillerie des gemmes de couleurs très différentes, Bulgari conquit le cœur de nombreuses femmes célèbres qui allaient lancer la mode joaillère Art Déco. Telle l'actrice Francis Kay, star américaine des années trente, mariée quatre fois, fut quatre fois plus comblée de bijoux que tout autre femme. Grande habituée de Bulgari et particulièrement adoratrice de ses créations Art Déco; en se faisant photographier par la presse people international parée d'étincelant sautoir « by Bulgari »*, elle assura le succès de la nouvelle collection du bijoutier.
Bulgari fut dès les débuts du septième art, intimement lié aux ténors de la nouvelle industrie. A l'instar du contrat qui lia Jessica Lange, actrice des années soixante-dix, et son producteur, Dino de Laurentiis; aussi pouvait on lire au onzième article que le contractant s'engageait fournir le nécessaire de luxe d'une star digne de son rang! Le bijoutier exclusif du contrat, étant bien entendu Bulgari.
L'actrice américaine Paulette Goddard, troisième épouse de Charlie Chaplin et connu chez Bulgari comme une croqueuse de diamants; en 1989 elle fit don d'une partie de sa collection de bijoux pour vingt millions de dollars à la New York University qui se souvenait alors de la petite comme une charmante farceuse.
Aujourd'hui, chaque année le bijoutier pour Very Important Person participe régulièrement aux Academy Awards, habillant les stars du cinéma contemporain des plus belles parures.
Pour l'exposition du Grand Palais, la collection Elizabeth Taylor, une des plus belles actrices de cinéma, est présentée pour la première fois au grand public. Avec de célèbres bijoux comme la Peregrina Pearl; cette perle de 50 carats avait appartenu autrefois à Marie Iere d'Angleterre au XVIe siècle et lui fut offerte par Richard Burton à l'occasion de la Saint Valentin. L'actrice avait connu le bijoutier et Richard lors de son tournage du film Cléopâtre en 1962, et se faisait régulièrement offrir par l'acteur des bijoux Bulgari. En témoigne cette phrase du gallois : « j'ai fait connaître la bière à Liz et elle m'a fait connaître Bulgari ». Ces délicates attentions firent scandales à l'époque car les deux jeunes gens étaient respectivement mariés.

La haute joaillerie contemporaine de Bulgari n'est qu'une enjôleuse continuité de la furie créatrice du joaillier. Comme par exemple cet extravaguant collier multicolore de douze saphirs roses, vingt spessartites mandarines, vingt-neuf émeraudes et neuf cent cinquante et un petits diamants pour un total de neuf-cent quatre-vingt-seize carats.
Bulgari excelle dans l'opulence et le raffinement, mais cela ne l'empêche pas d'avoir lui aussi un cœur. A l'image de cette série baptisée « Save The Children » , le nom d'une vénérable association défendant les droits des enfants dans plus de cent vingt pays. Une bague en argent discrète dont une partie de la recette ira directement à la l'ONG, est en vente dans les dix-sept boutiques Bulgari à travers le monde.

Incontestablement le luxe et le pouvoir politique se sont illustrés de paire à travers l'Histoire.
Comme François premier, dit le Père et Restaurateur des Lettres, qui fut certainement le monarque français aussi éprit d'art Italien que d'amour pour les belles parures. Lui qui favorisa les idées de la Renaissance en faisant émigrer des artistes italiens dans son royaume, comme Leonard de Vinci ou encore l'orfèvre Benvenuto Cellini, aimait exhiber ses richesses. En l'an 1520, voulant gagner l'amitié d'Henri VIII d'Angleterre, il fit dresser le somptueux camp au drap d'or dans la pleine des Flandres. Les fastes qui s'y déroulèrent allait marquer l'esprit des cours royales pendant les siècles à venir, qui avait alors vu un François premier se pavaner paré d'un collier de onze gros diamants.
La rétrospective du célèbre joaillier de l'avenue Georges V n'échappe pas à la règle; placée sous le haut patronage de la Présidence de la République Italienne et de la Présidence du Conseil des Ministres Italien, elle réuni un nombre important de chefs-d’œuvres de joaillerie issus de collections privées et du musée Bulgari à Rome.

Enfin, si le goût du luxe est un symbole fort de l'image française et européenne à l'étranger, les objets de luxe dans l'antiquité étaient carrément considérés comme sacrés. La symbolique des matériaux justifiant le caractère saint. L'or par exemple était considéré par de nombreuses civilisations comme la chair des Dieux et l'argent leur ossature. Quant aux différentes gemmes, leurs vertus curatives leurs transmettaient souvent un pouvoir talismanique; à l'instar de l'émeraude, qui revêtait une signification ésotérique. Une légende raconte même qu'une émeraude serait tombée du front de Lucifer pendant sa chute.
Car il y a des artistes qui travaillent le bois, d'autre la pierre, Bulgari est un orfèvre, il œuvre principalement sur l'or, l'argent et les pierres précieuses. Il serait incorrect de juger ici la grandeur d'un art en fonction de son médium. Mais les artisans de Bulgari ont la singularité de pratiquer un art qui était réservé dans les temps anciens à des religieux, nommé alchimistes. Ces hommes trouvent leurs origines dans une légende: des anges épris d'amour par les femmes de la terre y seraient descendus et apprirent aux hommes les œuvres de la Nature. Leurs paroles auraient été transcrites dans trois mille livres, précieusement gardés dans la bibliothèque d'Alexandrie. Le plus important d'entre eux, le livre d'Emeraude, contiendrait les clefs pour recréer le « spiritus Mundi » qui permettrait de transformer du plomb en or... Cette année la prestigieuse maison de luxe romaine célèbre à Paris son sacre de 125 ans de magnificence Italienne. Si Bulgari n'a toujours pas réussi à réaliser la pierre philosophale, on peut dire que son art a conquit le cœur de nombreuses femmes.

*Par Bulgari

Pierre Carrière- piercarriere@gmail.com