« L'art n'a que faire des lisières, des menottes, des baillons; il vous dit: va! Et vous lâche dans ce grand jardin de poésie, où il n'y a pas de fruit défendu. »
Victor Hugo, Les Orientales
Dessiner. La pose gracieuse du modèle emballe le crayonné du Maître. Le papier Canson d'une blancheur jadis virginal sourd une silhouette prometteuse d'exquises vérités. Le geste est efficace. Le regard vif; allant et venant du modèle à la feuille, d'une épaule au cou, d'une hanche à la cuisse, tel un boucher devant son billot. Les raies touffues des ombres habillent le nu tandis que des courbes vigoureuses s'offrent à la vue de quelques éminences... Progressivement, l'esquisse cède au brio et devient chef d'œuvre. Mais l'instant suivant, le Maître jette son travail à terre! Mécontent, il se saisi d'une feuille plus grande, format grand aigle, ainsi que d'un bâtonné de fusain neuf et plus gros. La peau de chamois et la gomme mie de pain n'ont pas encore servi. Fixant son modèle, il semble raisonner. Plus rien ne bouge dans l'atelier. Pour une fois la flegme du modèle semble avoir gagné la partie. Soudain il s'écrit: « mettez vous sur la pointe des pieds! ». La croupe se cambre, la fesse se galbe, la rétine du Maître s'électrise, et des jets de fusain ensemencent de nouveau la feuille.
Le dessin de nu. Pour certain une folle audace, pour d'autre une distraction que l'on accroche chez soi, pour Yannick : une épure lyrique. « Dessiner un nu comme on dessine un paysage », selon les termes du maître; autrement dit, comprendre le dessin et le sentir en poète. Son approche artistique puise ses influences dans le style réaliste de Courbet et la sensualité de Klimt; à ses griffes s'ajoute la sensibilité d'un nourrisson des Muses. Que le dessin superbe! Que le contraste est fière! Et quel poète ce Yannick... Ses ressources sont les modèles et ses balades matinales: sur les quais de Seine lorsqu'il étudiait aux Beaux Art, dans le désert américain du west ellensburg, lorsqu'il enseignait à l'Université de Washington, ou encore le long du boulevard des Pyrénées depuis son retour à Pau. Yannick croque sa vie de bohème comme Adam et Ève qui croquèrent le fruit interdit, encore nu.
Pierre Carrière
Auditeur libre de l'école du Louvre