Pages

Le siècle des Lumières revisité au Louvre

Le musée du Louvre renoue avec ses premières aspirations et présente cet hiver une série d'expositions sur le thème du siècle des Lumières.

Le XVIIIe siècle a embrassé les idéaux des Lumières, engendrant de profonds bouleversements dans les arts et la société. La raison éclairée et les idées de liberté défendues par les philosophes étaient à l'époque débattues aux portes du Louvre: sur la place publique du Palais Royale et ses cafés littéraires environnants. Méjugement fatal pour le roi, que l'ampleur des spéculations faîtes aux portes de son Palais qui allait bientôt devenir: Palais National, Assemblée National (le palais des Tuileries dont il ne reste aujourd'hui qu'une plaque commémorative en face du 230 avenue des Tuileries), résidence royale (le château des Tuileries aujourd'hui disparu) et Muséum Central des Arts de la République.
L'inauguration du musée eut lieu sous la Convention, en 1793, et fit de cette ancienne demeure royale un lieu de formation pour les artistes, musée pour le peuple le dimanche, mais aussi tribunal pour Louis XVI dont David, tête de file du néo-classicisme, vota la mort du roi. Quelques années plus tard, un jeune officier de brigade, Napoléon, faisait son entrée dans l'histoire en repoussant au canon une tentative de coup d'état royaliste; le gouvernement en place s'était alors réfugié au Palais des Tuileries. Les régimes successifs enrichirent peu à peu la collection du musée. Il s'accrut régulièrement de salles annexes, continuellement émaillées de tableaux, statues, bustes antiques, vases, meubles précieux et marbres.
Le Louvre au temps des Lumières (1750-1792), jusqu'au 7 février retrace à travers des dessins d'architectures et de tableaux, l'avènement d'un musée mondial, berceau des arts et de l'académie de l'époque moderne.



Les funérailles de Patrocle- Jacques-Louis David
La scène représente un épisode de la guerre de Troie. Patrocle est mort au combat, qui l'opposa au troyen Hector.
Achille suivi des Thessaliens qui donne de nouvelles marques de douleur à son ami Patrocle. Le héro Grec est suivi par la marche de ses troupes et celle des chars. En fin de cortège, douze troyens sont destinés à être sacrifiés avec des chevaux, des chiens, des moutons, des urnes de miel et d'huile.



Une autre exposition, la plus médiatisée: l'Antiquité rêvée, innovations et résistances au XVIIIe siècle, est l'apothéose du programme. Une balade à travers ses salles plonge le visiteur dans une transe d'effroi romantique. Les thèmes: les héros vertueux, l'idéal de beauté, la sobriété stoïque des formes et des émotions, sont issus des arts et de la littérature antique gréco-romaine.
Jacques-Louis David abonde sur la cimaise. En mettant à l'honneur des passages de la mythologie et de l'histoire antique peu connus, son œuvre devient singulière, « composée de réalisme et d'idéal ». Les sujets traités (Serment des Horaces, les funérailles de Patrocle, Psyché abandonnée, etc…) sont sublimés par un esthétisme admirable, Beau. Sa griffe privilégie avant tout la pureté de la ligne. L'univers davidien, maculé de morale et de civisme, est le résultat d'une œuvre engagée, qui épouse le désir d'un peuple livré à lui même depuis la déception monarchique. Chef de file du courant néo-classique, il deviendra sous Napoléon le peintre d'histoire d'une Europe citoyenne embryonnaire. Les premières républiques gréco-romaines inspirent les peintres du XVIIIe siècle qui par leur capacité de mobilisation par l'image, développent un art au service du pouvoir. Les sculpteurs tels Messerschmidt explorent de nouveaux horizons, étudiant l'étude des grimaces (exposition de trente de ses œuvres du 26 janvier au 25 avril); certains reconnaissent là les rictus de Lumières... Mobilier, gravures, sculptures, architecture, peinture, tous les arts sont touchés par le nouvel intérêt porté à l'antiquité. En tout, cent cinquante chefs d'œuvres revisitent ce phénomène de retour à l'antique jusqu'au 14 février.



Psyché- marbre 1792- Antonio Canova
« La nudité, lorsqu'elle est pure et de beauté exquise, nous éloigne des troubles mortels, et nous transpose aux premiers temps de l'innocence bienheureuse: plus encore elle s'offre à nous comme une chose spirituelle et intellectuelle et élève l'âme aux contemplations des choses divines »-Canova.
Psyché regarde un papillon. Cet animal était chez les anciens le symbole de l'âme. Il s'agit donc d'une allégorie: Psyché médite sur son âme.


Dans les années 1780, jamais la célébration de la culture grecque et l'admiration portée à son art de vivre n'a été aussi forte en Europe. Faisant rompre l'art académique avec les épigones de Fragonard et de Boucher au style rocaille, féminin, jugée futile, à la limite du blasphématoire. Ce retour à l'antique trouve son origine dans l'aristocratie anglaise et sa culture du Grand Tour. Dès le XVIIe siècle afin de parfaire leur éducation et leur connaissance du monde, des anglais parcourent l'Europe, épris d'un élan romantique. Rome, illustré depuis la renaissance en tant que capital des arts, est une destination incontournable. Cette aventure est pratiquée en dilettante, ponctuée de destinations fameuses, tels que les soupers au sortir du spectacle de Mme de Paris, rue de Bagneux. En ramenant en Angleterre divers souvenirs, dont des gravures des lieux visités, « les aiguilles de la géométrie de l'art gréco-romain » ne tardent pas à piquer les arts européens. Cet engouement, amplifié par des découvertes archéologique du pourtour méditerranéen et les écrits de Winckelmann, favorise le retour à l'antique. Gravures et dessins transportés, entre autre, par ces voyageurs, faisaient encore l'année dernière l'objet d'une exposition: musées de papier.

Cette rétrospective, comme le siècle qu'elle encense, est grandiose et poétique à la fois. Mais elle ne retrace en rien les horreurs commises durant cette période sanglante. Certes, elle sublime superbement un idéal, mais oublie d'en montrer ses effets pervers... N'oublions pas qu'aux premières heures de la révolution la guillotine était placée sur la place du Carrousel.

Pierre CARRIERE
http://pierrecarriere.blogspot.com